Corinne Belaud et Marie Bonneau

Corinne Belaud et Marie Bonneau : « La vie, jusqu’au bout, mérite d’être vécue »

Une fois n’est pas coutume, il s’agit d’un témoignage à deux voix, sur un sujet d’actualité brûlant : l’accompagnement des personnes en fin de vie, alors que la possibilité d’une loi pour légaliser l’euthanasie est en réflexion en France. Celui de Corinne et de Marie, collègues et amies. Corinne comme aide-soignante à l’hôpital des collines vendéennes de La Châtaigneraie depuis 34 ans, et Marie comme infirmière dans une unité de soins palliatifs. Alors que la convention citoyenne sur la fin de vie a commencé ses travaux, et doit rendre ses conclusions fin mars, elles partagent leurs expériences et leur conviction que la vie jusqu’au bout mérite d’être vécue….

 

Leur complicité saute aux yeux, comme le même amour de leur métier, auprès des personnes en fin de vie. Même si elles ne travaillent pas au même endroit, Corinne et Marie partagent régulièrement leurs expériences, se soutenant aussi, lorsqu’il y a des difficultés ou des cas plus compliqués à gérer. Corinne, la cinquantaine, est désormais la plus ancienne, n’étant, à ce jour, qu’au sein de l’équipe mobile de soins palliatifs. Elle s’investit notamment pour la formation des plus jeunes, afin de transmettre tout ce qui l’anime depuis plus de trente ans, cette philosophie de soins qui accompagne la personne jusqu’à son dernier souffle. « J’ai beaucoup grandi professionnellement mais aussi humainement au sein de cet hôpital de La Châtaigneraie. Mon métier m’a permis aussi de donner du sens à ma vie personnelle. Il faut savoir que c’est ici qu’ont été ouverts les premiers lits dédiés aux soins palliatifs en Vendée, à la fin des années 1990. Nous avons donc une vraie expérience que nous souhaitons partager et faire connaître au public », indique l’aide-soignante.

Ajouter de la vie aux jours

Il y a quelques années, un clip vidéo, tourné au sein de l’hôpital, avait eu un fort retentissement médiatique positif et s’était même exporté au-delà de la Vendée. Marie et Corinne, qui ont participé à la vidéo, se souviennent : « Ce clip était très joyeux ! Nous voulions montrer que les soins palliatifs sont des lieux où la vie est présente, ce n’est pas un mouroir ! ». Accompagner les personnes en fin de vie, qu’elles soient jeunes ou plus âgées, leur permettre de vivre pleinement jusqu’au bout : c’est ce qui anime les deux soignantes. Corinne confie ainsi : « Bien sûr, il y a des peurs, la peur de mourir, de souffrir ; c’est à nous d’être présents pour les soulager dans leur douleur, les rassurer, devant ce si grand mystère de la mort. Mais, nous sommes aussi témoins de très belles choses, parfois étonnantes, vécues dans les soins palliatifs ». Une réconciliation avec un proche, une personne croyante retrouvant la paix après avoir reçu le sacrement des malades, un massage ou une musique qui permet d’apaiser la personne malade… « On entend souvent cette phrase, de Jean Bernard, médecin du début du XXème siècle : ‘Ajouter de la vie aux jours lorsqu’on ne peut plus ajouter de jours à la vie’. Cela nous guide au quotidien. Il est vrai que nous avons le temps pour mettre en place des choses, préserver la meilleure qualité de vie, en apportant des solutions médicamenteuses ou non médicamenteuses, pour soulager les symptômes en lien avec la maladie et son évolution », précise Corinne. « Nous tenons vraiment à considérer la personne dans toute sa dignité et toutes ses dimensions : physique, psychologique, spirituelle et sociale. Il y a toute une considération, une bienveillance, qui nous guident dans notre travail quotidien. Ici, on parle de tout et de rien et on apprend beaucoup des gens. L’échéance de la mort, plus ou moins proche, fait que tout est décuplé, les joies comme la colère ou la tristesse. On vit à fond l’instant présent ici ! ». Les soignantes ajoutent : « Souvent, lorsqu’une personne malade arrive ici, elle nous dit : ‘Je veux que ça s’arrête, je souffre trop !’. Mais elle veut que la douleur s’arrête, pas sa vie ! Lorsque nous arrivons à soulager la douleur, la personne malade, le plus souvent, veut continuer de vivre. Dans les soins palliatifs, c’est là où il y a le moins de demandes d’euthanasie et 98% des soignants, travaillant au sein des soins palliatifs, sont opposés à la légalisation de l’euthanasie ».

La dignité en question

Les deux amies suivent avec attention et vigilance les débats au sein de la convention citoyenne sur la fin de vie, mise en place en décembre dernier. « Pour l’instant, les échanges semblent équilibrés et la parole des soignants en soins palliatifs semble entendue… ». Sera-t-elle écoutée ? L’avenir le dira dans quelques semaines… Qu’ont-elles envie de dire au Président de la République ? « Venez voir ce qui se passe dans notre service ! Et donnez-nous des moyens ! ». Les soignants aspirent déjà à appliquer la loi Claeys-Léonetti de 2016 sur les soins palliatifs. « Cette loi, que nous demande d’appliquer l’Etat, dit aux gens qui sont en fin de vie : ‘Vous comptez pour nous !’ ». Respecter la dignité de chacun reste primordial pour Corinne et Marie. « Notre société cherche à occulter la mort, à être tout-puissant, à toujours plus repousser les limites. Mais la vie, ce n’est pas ça ! ». Par leur témoignage, elles souhaitent susciter la réflexion au sein du grand public : « A quel moment peut-on considérer que la vie ne vaut plus d’être vécue ? ».

Anne Detter-Leveugle

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