Diocèse de Luçon

TROIS Questions

Le Carême, temps de grâce  et de conversion

Pere AM Meriau

Quarante jours donnés pour se préparer à vivre le mystère pascal, le coeur de notre foi : le Carême, qui commence ce mercredi 2 mars, est un temps béni pour les catholiques, invités à suivre le Christ au désert. Il ne s’agit pas de faire des efforts par nos propres forces humaines mais de laisser le Seigneur nous habiter pour faire Sa volonté et nous laisser guider par l’Esprit. Le Père Albert-Marie Mériau nous donne des pistes pour vivre ce temps de Carême comme un temps de grâce.

1 Comment ce temps de Carême peut-il nous aider à grandir spirituellement ?

 

« Va vers le pays que je te montrerai ! » : il est bon de méditer cette parole de Dieu adressée à Abraham. Comme le curé d’Ars qui montre au petit berger le chemin vers le Ciel. Nous allons vers là où nous sommes attendus, car nous connaissons la direction de notre vie terrestre : le Ciel, la vie divine, la vie éternelle, la communion des saints. Mais il y a toujours cette question qui demeure : « Qui habitera dans Ta maison Seigneur ? », « l’homme au coeur pur et aux mains innocentes ». Mais alors Seigneur, qui sera sauvé ? « Aux hommes, cela est impossible, mais à Dieu tout est possible ! ».

La question du Carême est bien celle-ci : je connais ma visée, est-ce que j’accueille Celui qui est ma route ? « Avec Lui et en Lui », le Christ est mon chemin, Celui en qui mon coeur se loge. Est-ce que je Le laisse venir là où je suis ? Comme la brebis perdue, qui appelle son berger, qui espère que l’on va venir la chercher. La vertu d’espérance est particulièrement mise en valeur pendant ce temps de Carême : « J’espère que quelqu’un va m’entendre pour venir me sauver ». Le chemin est donc fait par tous les deux : je fais un petit pas et Dieu fait le reste du chemin. Dieu n’est jamais loin, ne l’oublions pas. Il s’agit pour nous d’aller à Sa rencontre : cela reprend la grande histoire de l’Exode. Je quitte le lieu de mes pulsions, de mes satisfactions pour entendre cet appel à la rencontre. Avant de pointer le désordre de nos vies, montrons l’étoile qui nous guide et qui est au-dessus de l’horizon.

Mais alors quel est ce désordre ? C’est celui du fils prodigue. Au bout d’un moment, il réalise qu’il ne peut plus manger ce pain qui ne le rassasie pas, il veut autre chose. Comme lui, je suis donc appelé à maîtriser et orienter ma vie. Je dois dominer la nature par la grâce. Mais cela ne se fait pas sans le Christ.

Nous devons ainsi nous mettre en route. C’est un appel à sortir de notre indifférenciation pour tendre vers la communion, par Dieu et en Dieu, à vivre l’amour de Dieu et du prochain, qui vont de pair. Mais tant que je tiens à moi, « je » ne suis pas. Je dois mourir à moi-même. Si je suis mort au monde, alors je peux vivre en Dieu. C’est bien cela mon chemin : que Dieu soit ma vie. Pour cela, je dois reconnaître mon néant, ce qui est le contraire de l’orgueil. Quand l’horizon de mon humanité n’est pas satisfaisant, alors le soleil de Dieu devient pour moi indispensable.

Que reste-t-il à l’homme sans Dieu si ce n’est la mort ? La Croix est mon espérance, car le Christ a épousé la mort. Il a épousé la seule chose qu’Il n’avait pas créée. Il a tout pris sur Lui pour nous sauver. Alors, je suis moi-même vainqueur de la mort si je connais ma misère, mes limites, mon « humus », ma contingence humaine. L’humanité ne se résume pas à moi, c’est le Christ qui récapitule tout.

 

Questions Careme

2 Par la prière et le jeûne, comment concrètement vivre ce chemin de conversion ?

Une fois que nous avons identifié le but, l’horizon à atteindre, nous pouvons nous appuyer sur les moyens qui nous sont donnés : la prière, le jeûne, le partage.

 

Commençons par la prière. Lorsque je me tourne vers Dieu, je me détourne de moi-même, de ma désespérance. C’est encore cette image de la brebis qui bêle, perdue dans le buisson, qui attend son berger. Je me tourne vers Dieu, dans l’espérance qu’Il m’entende. Par la prière, je m’oriente vers Celui en qui j’espère être un jour pour toujours. C’est à moi de le faire, de m’orienter vers Lui. Je suis orienté vers le Coeur de Dieu, je L’appelle et Lui se tourne vers moi. Chaque fois que je prie, je réponds à Son appel. Dieu me cherche, il va me trouver ! Il faut que l’on dise cette espérance aux gens : « Dieu te cherche, Jésus te sauve ». Si on ne leur dit pas, ils ne le sauront pas !

Le jeûne ensuite nous est donné comme un moyen d’avancer. Le jeûne est bien l’expression de l’insatisfaction des biens terrestres : « Je n’en ai pas assez de Dieu, il m’en faut plus ! ». Dieu se donne à moi tout entier dans le pain de vie. Le jeûne nous replonge dans cette histoire sainte, « acta Christi », les actes et les faits du Christ. Par le jeûne, je veux faire corps avec Jésus, c’est Lui le vrai pain et la vraie nourriture. Faire corps à corps, c’est autre chose que coeur à coeur. Le corps à corps est plus réaliste, plus terre à terre. On a un corps à corps avec Dieu, qui est le jeûne. Je pense que l’on ne peut pas réduire le Carême à un « pain-pomme », ou à un seul bol de riz, même si bien sûr, cela est un premier pas. Posons-nous cette question : Est-ce que mon humanité se satisfait de la Création ? Ou saisit-elle qu’elle est faite pour le divin ?

Pour le dire autrement : Est-ce que je ramène Dieu à moi pour qu’Il vienne satisfaire mon humanité ? Ou alors est-ce moi qui me laisse embraser par Dieu ?

Le but n’est pas de trouver son bonheur en Dieu mais que Dieu trouve Son bonheur en moi, que Dieu soit éternellement heureux en moi. Dieu compte sur moi pour que Son bonheur soit parfait, car Dieu ne veut pas être heureux sans moi. C’est Lui qui veut m’épouser, c’est Lui l’Epoux qui m’appelle. Il n’a jamais imaginé un instant être heureux sans moi. C’est l’Amour nuptial.

3 Comment s’appuyer sur le troisième moyen, le partage ?

Le partage est l’expression de l’Amour de Dieu et du prochain, qui vont de pair, comme évoqué précédemment. « Aimer » et « servir », c’est la même chose. Celui qui aime sans servir est un menteur. La charité en oeuvre est l’expression de la foi. Le Christ est venu pour servir et non pas pour être servi.

Le Carême, temps de grâce et de conversion

L’aumône nous invite donc à donner de soi, et non pas à donner quelque chose qui est à soi. Comme la veuve dans l’Evangile qui donne quelque chose d’elle-même.

Si on donne de soi, c’est pour que l’autre puisse être. Ce n’est donc pas que je donne mon avoir pour que l’autre puisse avoir, c’est payer de sa personne pour que l’autre puisse être davantage. Il est déjà quelqu’un bien sûr, mais il s’agit qu’il puisse être encore plus. On ne laisse pas alors notre prochain dans l’horizon de la mort. Parce que je vois le besoin de l’autre et que je paie de mon être pour qu’il soit davantage, je suis un salut pour lui. L’aumône n’est rien d’autre que ce qu’a fait Jésus, Lui qui a payé de Son humanité pour nous sauver, Lui sans qui nous ne sommes. Il est venu pour combler notre indigence, Il s’est donné pour nous, c’est Lui notre richesse. « Belle sera ma vie pleine de Toi », dit Saint Augustin. Dieu se déverse en mon néant, Il est la Vie en ma mort, la lumière en mes ténèbres, la grâce en mon « humus », c’est cela qui est glorieux ! Jésus est l’aumône de Dieu pour moi.

L’aumône est ainsi la manifestation que je fais corps avec le Christ. Je me fais grâce pour l’autre, en donnant de moi. Cela peut être du temps, de l’argent, du bien que l’on fait aux autres. Tous les éducateurs, le personnel soignant, les prêtres, les religieux le font : ils donnent d’eux-mêmes. Mais tous les baptisés sont appelés à le faire aussi ! Ainsi, la plus belle aumône que je puisse faire, c’est l’offrande de ma personne toute vide d’elle-même, mais pleine de Dieu, à l’image de la Vierge Marie.

Propos recueillis par Anne Detter-Leveugle